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Le blog de Jacques Krabal
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10 mai 2006

1ère commémoration nationale de l’Abolition de l’Esclavage

Discours_sur_l_abolition_de_l_esclavage


Discours à l’occasion de la 1ère commémoration nationale de l’Abolition de l’Esclavage

10 mai 2006

Monsieur le Sous-préfet,

 

Merci d’avoir accepté de parrainer le vernissage de cette exposition à l’occasion de la Journée Nationale de la Commémoration de l’Abolition de l’Esclavage ce mercredi 10 mai 2006 à Brasles. Vous montrez ainsi l’importance que vous accordez à cet événement.

 

Chers Amis,
En venant ce soir pour le vernissage de cette exposition ayant pour thème « l’Esclavage Hier », à l’occasion de la 1ère Commémoration de la Journée Nationale de la traite négrière, de l’esclavage et de leur abolition, vous vous posez peut-être la question du pourquoi de cette initiative.

Certes, c’est une commémoration nationale, mais il n’y a pas d’obligation pour les élus d’organiser des animations. D’ailleurs, excepté à Paris ou dans quelques grandes villes, cette commémoration ne connaît pas un retentissement important. Et puis, il existe par ailleurs des journées nationales, qui ne font pas l’objet de manifestation, comme ce fut le cas hier avec la journée de l’Europe ou il y a quelques semaines avec la journée des Droits de la Femme commémorée avec éclat par le Lycée Jean de la Fontaine et puis prochainement celle refusant la Misère et la Pauvreté. Alors pourquoi cette commémoration ici à Brasles?

 

Le choix d’une 1ère commémoration nationale sur l’esclavage présenté comme un crime contre l’humanité est déjà en soi un élément important de notre motivation. Je développerai cet aspect dans la suite de mon propos. Mais, au-delà de nos sensibilités personnelles, de nos engagements idéologiques et humanistes, il y a des faits plus locaux qui nous ont conduits à cette organisation.

Le premier fait référence à l’amitié qui me lie à Claude RIBBE, « noir, écrivain philosophe », (c’est ainsi qu’il se présente sur son site internet). Nous avons eu le plaisir de l’accueillir à plusieurs reprises ici dans cette salle. Spécialiste des Dumas, il s’est fait connaître à l’occasion du transfert des cendres d’Alexandre DUMAS au Panthéon le 30 novembre 2002.

Je suis convaincu que le discours qu’il a prononcé à cette occasion au Sénat devant le cercueil du «  fils d’un esclave » a contribué à ce que nous nous retrouvions ici ce soir. Ce jour-là il s’est exprimé avec la rage du « descendant d’esclaves » qu’il est. Dans son allocution, il a dénoncé à la fois les injustices vécues par Alexandre DUMAS père, qui n’était en naissant qu’un esclave dans la partie française de l’Ile de Saint-Domingue, mais il en a aussi profité pour combattre le racisme dont avait été objet Alexandre DUMAS fils. En effet, on ne se contentait pas de dire qu’il était romancier, mais on jugeait utile d’ajouter qu’il était un écrivain de couleur, ou encore un auteur antillais ; ne parlait-on pas du sang noir, de la négritude d’Alexandre DUMAS : c’était un écrivain noir !

Ces qualificatifs laissent penser qu’il y a encore des gens qui croient à la race et à la pureté du sang. N’en soyons pas surpris, écoutons, regardons autour de nous. Par exemple, dans le domaine sportif, comme le fait remarquer Lilian Thuram, nous ne parlons pas de footballeur noir, mais de footballeur agile, musclé, avec des qualités physiques naturelles : on met en avant sa force. N’oublions pas qu’en 1931, lors de l’Exposition Coloniale, il était prévu de montrer un zoo humain avec des noirs. A cette époque, l’Homme noir était présenté comme une bête, comme une brute. Si nous sommes majoritairement et largement antiracistes, méfions-nous de ces réflexes racistes qui viennent de là !

Oui, Claude RIBBE a dénoncé de toutes ses forces le racisme; le racisme qui prend sa source dans le refus de parler au grand jour de ce génocide qu’est l’esclavage. Claude a contribué ainsi à une prise de conscience pour que nous allions plus loin dans la lutte contre l’esclavage.

Je pense que son allocution a fait date, puisque le Président de la République a ensuite décidé de modifier son intervention et en a durci le ton qui se voulait dès le départ antiraciste et anti-esclavagiste. J’ai été le témoin de cet événement !

Pardonnez-moi d’avance ce détour, mais mon propos ne serait pas complet si je ne citais également le Chevalier de SAINT-GEORGES, né esclave lui aussi en Guadeloupe d’une mère sénégalaise.

Il s’est illustré au XVIIIème à la Cour comme homme de talent, brillant musicien, militaire, libre penseur, escrimeur. Il fut le 1er colonel noir de l’histoire de France. Après divers combats en 1793, d’ailleurs, il se retire à Château-Thierry, rebaptisée Egalité Sur Marne. Dans un premier temps il est emprisonné du fait de ses amitiés avec Marie-Antoinette. Puis, grâce à une pétition des citoyens de Château-Thierry en sa faveur (exprimant qu’il s’était montré bon, courageux et qu’il était un vrai Républicain), il est libéré le 18 août 1794. A sa libération, la République proclame la Liberté pour les Esclaves dans les colonies. Il n’hésite alors pas à partir combattre aux côtés des esclaves de Saint-Domingue avec Toussaint Louverture. Ainsi le Chevalier de Saint-Georges, grâce à l’intervention des citoyens de Château-Thierry - et peut-être de Brasles - a participé lui aussi à l’abolition de l’esclavage dans cette île.  Ce fait militaire vérifié par les historiens nous amènera à inaugurer prochainement un square Saint-Georges à Brasles.

Connaissant ces faits locaux, la commémoration de l’abolition de l’esclavage prend chez nous davantage de sens.

Claude RIBBE, les DUMAS père et fils, le Chevalier de Saint-Georges pourraient à eux seuls justifier le rendez-vous de ce soir. C’est surtout pour nous tous réunis l’occasion de rappeler toute l’horreur que représente ce crime contre l’humanité qu’a représenté l’esclavage. Je salue donc les Anciens Combattants et la FNDIRP qui nous accompagnent dans cette démarche. Je dois également excuser Michel RUDLOFF, son Président.

Dans l'histoire de l'humanité, l'esclavage est une blessure. Une tragédie dont tous les continents ont été meurtris. C’est un crime contre l’Humanité. La traite négrière et l’esclavage rentrent dans cette catégorie car ce sont des entreprises de déshumanisation, de déni ce qui fait l’humain.

Une abomination perpétrée, pendant plusieurs siècles, par les Européens à travers un inqualifiable commerce entre l'Afrique, les Amériques et les îles de l'Océan indien. Un trafic dont il faut se représenter la réalité : des villageois vivant dans la peur, enlevés en masse, privés de leur identité, arrachés aux leurs et à leur culture. Tant d'hommes et de femmes captifs, entassés dans des bateaux où plus d'un sur dix mourait. Tant d'hommes et de femmes vendus comme du bétail et exploités dans des conditions inhumaines !

La plupart des puissances européennes dont la France bien évidemment se sont livrées à la Traite. Pendant plusieurs siècles, elles ont assimilé des êtres humains à des marchandises. En France, le Code noir, promulgué en 1685, définissait l'esclave comme un "bien meuble". Nous devons sans cesse dénoncer l’esclavage parce que l'esclavage nourrit le racisme d’aujourd’hui.

Le racisme, d'où qu'il vienne, est un crime du cœur et de l'esprit. Il abaisse, il salit, il détruit.

Le racisme, c'est l'une des raisons pour lesquelles la mémoire de l'esclavage est une plaie encore vive pour nombre de nos concitoyens. Je ne veux par reprendre le cheminement abolitionniste. Les panneaux de l’exposition l’expriment mieux que je ne le ferai. N’oublions pas les rôles des hommes comme le Commandant Delgrès, Toussaint-Louverture, Victor Schœlcher et bien d’autres encore.

N’oublions pas qu'en 2001, la France a été le premier pays au monde à inscrire, dans la loi Taubira, la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité. Aujourd’hui, en ce 10 mai 2006, c’est pour nous l’occasion d’honorer la mémoire de toutes les victimes de ce trafic honteux. Et de leur rendre leur dignité. Nous devons reconnaître pleinement l'apport des esclaves et de leurs descendants à notre pays; un apport considérable dans les domaines de la littérature Maryse Condé, Edouard Glissant, Sedar Senghor, Aimé Césaire et tant d'autres encore en témoignent, mais aussi dans les domaines de la musique, du jazz, de la danse etc…

Pour toutes ces raisons, n’ayons pas peur d'assumer toute notre histoire !!

« Avec ses pages glorieuses, mais aussi avec sa part d'ombre. Regardons-la avec fierté. Regardons-la telle qu'elle a été. C'est ainsi que nous saurons nous rassembler, que nous deviendrons plus unis, plus forts. » Comme l’a dit le Président de la République. Sans hésitation nous partageons pleinement cet avis.

Avec cette commémoration, l'esclavage doit trouver sa juste place dans les programmes de l'Education nationale à l'école primaire, du collège, du lycée. Cette exposition mise en œuvre avec la Bibliothèque de Brasles participe de cette volonté de se souvenir. J’en profite pour saluer le travail de Dominique Ragueneau.

Mais, comment se souvenir, si nous ne savons pas ? Lutter contre l’oubli, c’est d’abord éduquer pour connaître et comprendre !

C’est pourquoi cette exposition est à vous Chefs d’Etablissements, Professeurs, Responsables d’Associations et Elus. Je remercie Roberte Lajeunesse de m’apporter son concours en tant que Présidente des maires du canton.

N’oublions pas que le combat contre l'asservissement est un combat d'aujourd'hui. En ce début du XXIème siècle, le travail forcé existe ! Comment accepter que tant d'enfants travaillent, et souvent dans des conditions épouvantables ? Que tant de jeunes filles soient vendues par leur famille, pour devenir des domestiques sans salaire ou être livrées à la prostitution ? Il y a eu des progrès certes, mais des combats pour les droits de l'Homme doivent encore être menés.

Afin de lutter contre les survivances de l'esclavage, les pays riches doivent approfondir la coopération avec le pays du Sud. Le droit du commerce international ne saurait ignorer les principes fondamentaux des droits de l'Homme. Il nous faut donc veiller à ce que les multinationales, lorsqu'elles investissent dans les pays pauvres ou émergents, respectent les principes fondamentaux du droit du travail tels qu'ils sont inscrits dans le droit international.

Pour conclure, je citerai Lilian THURAM : « Pas plus que la Shoah ne serait l’affaire exclusivement des Juifs, l’esclavage ne concernerait seulement les noirs. Ces tragédies sont celles de tous les Hommes. Il faut éviter l’enfermement dans sa communauté ou dans sa « couleur ». Chacun doit réapprendre l’Histoire pour que l’on puisse vivre tous ensemble dans la République » !

 

C’est modestement notre objectif et je sais que vous êtes ici nombreux à le partager et je vous en remercie.

J.Krabal

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